Impédance, rendement et ouverture
subjective d'une trompette.
Le rendement acoustique.
L'instrumentiste dépense de l'énergie pour produire le
son, de l'ordre de quelques dizaines de watts. A titre de comparaison,
un coureur cycliste entraîné produit environ 400 W en
régime continu, mais il mobilise des muscles adaptés
à ce niveau d'effort, contrairement au trompettiste qui doit
faire travailler son corps dans des conditions très
éloignées de celles de la vie courante. Une faible partie
de cette énergie (moins de 1 %) est transmise aux auditeurs par
la vibration de l'air ambiant. Le reste est transformé en
chaleur, d'une part dans le corps de l'instrumentiste, d'autre part par
frottement de l'air contre les parois du tube et par la vibration de
l'instrument lui même. La trompette est sans doute l'instrument
le plus exigeant sur le plan physique, et jouer longtemps est un
réel problème. Pour avoir plus d'endurance, on peut
chercher à améliorer le rendement global du
système. On peut réduire les pertes
énergétiques au niveau du corps de l'instrumentiste en
réduisant la quantité d'air émise jusqu'au minimum
nécessaire à l'entretien de la vibration. Au niveau de
l'instrument, il y a deux moyens de réduire la dépense
d'énergie :
• L'instrument considéré comme un dissipateur d'énergie
a une impédance propre, variable en fonction de la fréquence.
En augmentant l'impédance, on réduit
la part d'énergie dissipée dans le corps de l'instrumentiste au
profit de l'énergie transmise par l'instrument.
• L'instrument vibre. Une partie de sa vibration se transmet à
l'air et contribue au timbre de l'instrument, le reste étant dissipé
en chaleur dans l'air ambiant. On peut donc essayer de réduire
la vibration de l'instrument.
Augmenter l'impédance.
L'impédance acoustique est donnée par la formule Z = DP
/ DU, où P et U
sont respectivement la pression efficace et le débit d'air efficace (par
analogie avec l'électricité, en assimilant la pression et la tension
d'une part, le débit et l'intensité d'autre part). L'impédance
d'entrée d'une colonne d'air est le rapport entre la variation
de pression résultant d'une variation de débit d'air
à l'entrée et cette variation de débit. L'impédance
peut être déterminée à partir de la réponse
impulsionnelle de la colonne d'air.
Les pics d'impédance d'entrée se situent aux fréquences
de vibration pour lesquelles une variation de débit d'amplitude donnée
produit une variation de pression maximale à l'entrée de la colonne
d'air.
De même, les minima d'impédance d'entrée
se situent aux fréquences de vibration pour lesquelles une variation
de pression donnée produit une variation de débit maximale à
l'entrée de la colonne d'air. Avec un dispositif d'excitation produisant
des variations de pression, tel que les lèvres d'un trompettiste, les
pics d'impédance d'entrée se produisent aux fréquences
pour lesquelles il y couplage entre la vibration de la colonne d'air et la vibration
du dispositif d'excitation, donc aux fréquences de résonance de
la colonne d'air.
On mesure l'impédance d'entrée en excitant la colonne d'air avec
un générateur de vibrations à fréquences variables
et d'amplitude constante, et en mesurant la pression acoustique résultante.
Ce type de mesure a donné lieu à de nombreux travaux de recherche,
dont on trouvera des exemples ici.
On obtient pour chaque position des pistons une courbe du type ci-contre, avec
en ordonnée
la pression acoustique en dB mesurée soit au niveau de l'embouchure,
soit à
la sortie du pavillon ; en abscisse la fréquence de la note
jouée. La
courbe ci-contre présente l'impédance typique d'une trompette
en si bémol sans appuyer les pistons. Le "do" médium (en
fait un si bémol) à 466
Hz est le 4ème
pic d'impédance en partant de la gauche. On voit que l'impédance
chute très
vite au dessus du "sol" aigu (un fa pour la trompette en sib) (6ème
résonance).
Plus le pic d'impédance
est
élevé, plus la note jouée sort facilement car les pertes
d'énergie
sont faibles. Inversement, il faut apporter beaucoup d'énergie pour
maintenir la vibration à une fréquence où l'impédance
est basse. Une trompette usée
ou dure dans l'aigu présentera
une courbe aplatie dont les pics seront peu marqués au dessus de la
6ème
ou 7ème
résonance.
Plusieurs facteurs influencent l'impédance moyenne d'une trompette :
• un couplage avec l'extérieur important (pavillon
très ouvert ou branche d'embouchure large) réduit
l'impédance moyenne,
• un faible rayon de courbure des coulisses augmente
l'impédance moyenne : c'est pourquoi certaines trompettes sont
livrées avec deux coulisses d'accord présentant des
rayons de courbure différents (dites coulisse "carrée" et
coulisse "ronde")
pour laisser le choix au trompettiste,
• toutes choses égales par ailleurs, une perce large offre
une impédance plus faible qu'une perce étroite.
Relation entre impédance et "ouverture" subjective de l'instrument.
Pour comprendre intuitivement
la notion d'impédance, on peut trouver une analogie avec le développement
d'un vélo : un petit braquet (basse impédance) permet de monter
une côte mais son utilisation sur longue distance est fatigante, tandis
qu'avec un grand braquet (haute impédance), il faut appuyer fort
mais on peut rouler plus longtemps en plaine.
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En essayant des trompettes de différentes marques, on se rend compte empiriquement
des différences d'impédance. Les trompettes à haute impédance
donnent l'impression d'une "résistance" générale
tout en offrant une facilité d'émission piano dans l'aigu ; ces
trompettes permettent généralement de jouer plus longtemps avant
de ressentir les effets de la fatigue. Celles qui offrent une impédance
plus faible produisent un fort volume de son sur toute la tessiture, avec une
émission immédiate, mais quelques fois plus difficile à contrôler
dans l'aigu. En général, augmenter la perce réduit l'impédance
moyenne, mais l'effet peut être différencié entre le corps
de l'instrument et le pavillon. Ainsi, une Schilke B7 ou une Bach B180ML avec
pavillon #72, ont une petite perce mais un pavillon large, représentant
un compromis entre l'endurance et le volume de son. A noter qu'une trompette usée,
dont les pistons ont perdu de leur étanchéité, devient inutilisable
aussi parce que son impédance moyenne et surtout les pics d'impédance
dans l'aigu sont fortement réduits. Enfin, plus la trompette est aiguë,
plus son impédance est faible toutes choses égales par ailleurs
: les trompettistes savent bien que la trompette en ut est plus fatigante que
la trompette en si bémol, et la trompette piccolo encore plus.
Toutefois, il ne faut pas confondre la sensation d'ouverture qu'apporte une impédance
basse avec la rapidité de réponse de l'instrument sur une attaque,
qui dépend surtout de la régularité de la perce, en particulier
au niveau des pistons (voir la page "
réponse"). Dans une étude faite à l'IRCAM il y a quelques années sur le rapport entre impédance
et sensation d'ouverture de la trompette, cette confusion semble avoir
été faite par plusieurs musiciens.
L'embouchure utilisée a une influence majeure sur l'impédance d'entrée
de l'instrument : un
grain
et une
queue larges réduisent
l'impédance d'entrée de façon plus importante qu'une perce
ou un pavillon large. Pour améliorer l'endurance, on peut choisir une embouchure à grain
#27 (3,66 mm), standard chez Bach, Yamaha ou Stork (mais la
justesse sera alors plus difficile à contrôler).
Enfin, vous trouverez sur la page des
questions
et réponses plus d'explications sur l'importance de l'impédance.
Réduire les vibrations de l'instrument.
L'importance des vibrations de l'instrument a été mise en évidence
par Renold Schilke dans ses
expériences
d'utilisation de divers matériaux. La première idée qui
vient à l'esprit pour améliorer le rendement énergétique
en réduisant les vibrations propres de l'instrument, est de l'alourdir,
à l'instar des acousticiens qui alourdissent les tôles des voitures
pour les empêcher de vibrer. On peut montrer que la
vibration des parois peut à la limite
absorber toute l'énergie vibratoire de la colonne d'air à certaines
fréquences. Sans aller jusqu'à utiliser un pavillon en plomb comme
dans l'expérience de Schilke, on peut obtenir des résultats intéressants
par l'apport de masses à des endroits bien choisis pour ne pas dégrader
le son. C'est la démarche suivie par David Monette aux USA et Courtois
en France (qui a toujours fabriqué des instruments plus lourds que la moyenne).
Les trompettes Bach sont aussi des trompettes "lourdes", par opposition
aux Schilke, Yamaha, Getzen ou Selmer (France) qui sont plutôt légères.
Vous trouverez ici une
comparaison
du timbre d'une Bach et d'une Schilke par analyse du spectre d'harmoniques.
Mais pour faire une correction efficace, il faut d'abord
connaître l'origine des vibrations. Deux causes possibles : d'une
part la transmission de la vibration de la colonne d'air aux parois
à chaque changement de forme du tube (coudes, ovalisation,
défauts d'alignement), d'autre part la transmission
mécanique de la vibration des lèvres via l'embouchure,
qui est la cause prépondérante comme l'a montré
James Whitehouse* en 2003.
On peut donc améliorer le rendement d'une trompette a
l'alourdissant par des accessoires qui sont d'autant plus efficaces
qu'ils agissent près de l'embouchure, d'où
l'intérêt des "boosters" d'embouchure ou des embouchures
lourdes. Dans tous les cas, le résultat est un son plus
brillant, qui "porte" plus loin pour un effort identique de
l'instrumentiste.
Il faut toutefois se méfier d'un alourdissement excessif ou mal étudié.
Le timbre de l'instrument nécessite une certaine
vibration
du pavillon, judicieusement ajustée par des traitements thermique localisés
et une position précise des entretoises entre la branche d'embouchure,
le bloc des pistons et le pavillon. Le trompettiste Kenneth Fung, de Hong Kong,
a montré qu'un
ajustement
précis des entretoises peut améliorer considérablement
la réponse et la sonorité de l'instrument. C'est aussi dans ce but
que les facteurs de cuivres allemands proposent souvent en option un "anneau
de Heckel" bordant le pavillon pour modifier son régime vibratoire.
En conclusion, il faut choisir selon l'utilisation prévue de la trompette
:

• pour un travail sans amplification en ensemble de cuivres, en big band
ou en harmonie, qui demande de l'endurance, choisir une trompette sib lourde à
haute impédance, dont un bon exemple est la Bach B180ML, modèle
de base avec le pavillon #37 et la branche d'embouchure #25 (photo ci-contre),
avec une embouchure à grain pas trop large ;
• pour un travail en petit ensemble de jazz ou de variétés
avec amplification, une trompette sib à basse
impédance (lourde ou légère) permet une gamme d'effets
plus large : Schilke B5, B6 ou B7, Yamaha 6310Z ou Bach avec pavillon 72*
(allégé)
par exemple.
En orchestre symphonique, c'est la trompette en ut qui est la
plus utile, et son impédance est plus basse que celle de la sib toutes choses
égales par ailleurs. Dans les très grands orchestres, où il faut pouvoir sortir
des fortissimi qui passent au dessus des cors et des trombones, on choisira une
trompette à haut rendement et perce large comme la Bach C180L ou la Courtois
Évolution ; dans une formation plus modeste avec une soixantaine de musiciens,
il faut plutôt privilégier la sûreté d'attaque dans la nuance
pp et
la justesse : Schilke, Yamaha ou une bonne trompette à palettes sont recommandables.