Propagation du son dans un tuyau à parois souples
B.B. Ninob *
Les tubes des instruments à vent ne sont pas parfaitement
rigides. Dans bien des cas, on les sent vibrer quand l'instrument sonne. Quelle
est l'influence du couplage entre la colonne d'air et la paroi? On montre ici
que le son se propage plus lentement dans un tuyau élastique que dans
un tuyau rigide. De plus, il peut y avoir déperdition d'énergie
à cause du rayonnement acoustique de la paroi du tuyau vibrant. Enfin,
les vibrations du tube peuvent être amorties par une viscosité
interne. Sous l'influence de ces deux derniers effets (rayonnement du tube et
amortissement interne de la paroi), la constante de propagation du son dans
le tuyau devient complexe : le tube emprunte de l'énergie à la
colonne d'air, ce qui affecte la surtension de la résonance.
Le texte ci-dessous propose une modélisation globale
de ces effets, avec en particulier un calcul de la constante de propagation
du son dans un tube à parois souples.
(1),
où p = P - P0 est la surpression dans le tube, la densité de l'air, et l'élongation du mouvement de la tranche.
(2).
(3)
Le premier terme du membre de droite est l'effort appliqué sur le tube
par la colonne d'air;
Le second terme est dû à l'élasticité radiale du
tube (E est le module d'Young de la paroi);
Le troisième terme est dû à la rigidité transverse
du tube (effort tranchant). On peut se convaincre aisément que ce terme
est négligeable devant le précédent dans tous les cas pratiques,
car la longueur d'onde des oscillations transverses du tube est toujours grande
devant l'épaisseur e de la paroi.
Le système d'équations différentielles (1), (2), (3) devient, en éliminant p et en posant r = R - R0:
(4)
On vérifie aisément que, dans l'approximation du tube rigide , on récupère l'équation habituelle pour la propagation du son en milieu libre :
.
Dans le cas général, les équations (4) couplent les oscillations de la colonne d'air et celles du tube.
Résolution du système (4) : calcul de la constante de propagation du son dans le tuyau
En prenant pour et une expression de la forme , on tire une expression pour la constante de propagation :
,
où est
la vitesse du son en milieu infini.
Le deuxième terme de la somme entre crochets représente
la correction à la relation de dispersion due à la prise en compte
de l'élasticité du tube.
Cette correction peut s'exprimer en relatif :
(5).
L'expression (5) est également la correction à la vitesse de propagation du son dans le tuyau; C'est aussi la correction à la fréquence de résonance du tuyau :
.
Comme attendu, on trouve que cette correction tend vers zéro
pour un tube très raide (grand)
et très épais (grand).
La correction tend également vers zéro pour un tube fait dans
un matériau très dense (grand)
et très épais.
Dans la plupart des cas concrets appliqués aux instrument à vent,
on peut vérifier que le premier terme du dénominateur de l'équation
(5) domine largement le deuxième terme, ce qui signifie qu'en utilisant
un matériau de paroi plus dense, on augmentera le couplage air-tube,
et on ralentira la vitesse du son dans le tuyau (ce résultat n'était
pas très intuitif !).
La résonance de la paroi du tube est atteinte quand le dénominateur
de l'équation (5) s'annule, c'est à dire quand
(6).
En pratique, cette pulsation de résonance de la paroi est beaucoup plus
haut que celle de la colonne d'air (sauf dans les tuyaux à parois très
molles, cf justification dans l'application numérique ci-dessous). Quand
on s'approche de ce domaine de fréquences, la constante de propagation
diverge : toute l'énergie de la colonne d'air est vampirisée par
le tube, le son ne se propage plus dans le tuyau !
La pulsation étant
une véritable pulsation de coupure, les considérations précédentes
montrent qu'il est impossible d'avoir un son riche en harmoniques avec un tuyau
à parois molles, surtout si ledit tube est de grand diamètre.
Ceci est vrai quelle que soit l'épaisseur de la paroi, puisque la fréquence
de résonance de la paroi ne dépend pas de .
Résolution du système (4) : calcul de l'amplitude de vibration de la paroi
La résolution du système (4) permet également de déterminer l'amplitude de vibration de la paroi, ou, plus précisément, le rapport entre le mouvement de la paroi et le mouvement de l'air dans le tube :
.
Le couplage air-tube est ici purement réactif, le mouvement de la paroi est en quadrature avec celui de la tranche d'air. Si on suppose qu'on a un tube assez raide pour que la vibration de la paroi soit petite, l'abominable équation ci-dessus se simplifie :
(7).
Calcul de la puissance rayonnée par la paroi
Nous avons négligé jusqu'ici toutes les causes de dissipation d'énergie, en particulier l'amortissement induit par le rayonnement de la paroi vibrante. Nous l'évaluons ci-dessous en admettant que la puissance rayonnée par une tranche de tube de longueur R égale celle rayonnée par une sphère de même rayon :
,
soit, pour un tube cylindrique de longueur L, siège d'une onde stationnaire :
.
L'énergie acoustique stockée dans le tuyau vaut :
,
et la surtension associée au rayonnement par les parois vaut donc :
.
En reportant la valeur pour obtenue en (6) dans le cas d'un tube assez raide, on trouve pour la surtension de rayonnement de la paroi :
. (8)
Calcul de la dissipation par amortissement interne de la paroi
Nous considérons ici une deuxième cause de dissipation d'énergie dans le couplage air-tube : l'amortissement interne du matériau du tube. La surtension associée vaut :
,
où est l'énergie stockée dans la paroi, est l'énergie acoustique totale stockée dans la paroi et dans la colonne d'air, et où est l'angle de pertes du matériau du tube.
Dans l'approximation du tube raide, le rapport vaut , donc d'après (7) :
(9).
Dans le domaine de fréquences acoustiques qui nous intéressent ici, l'angle de perte du bois ou des polymères est de l'ordre de 0.05, et celui des métaux est nettement plus petit encore. Dans l'approximation du tube raide, le rapport est toujours inférieur à 10-6. Compte-tenu de ces valeurs, la dissipation par amortissement interne de la paroi est négligeable devant les autres causes de dissipation dans tous les cas pratiques. Encore fallait-il le vérifier !
Application numérique à des cas concrets :
1) Le tube de la trompette dans sa partie cylindrique :
= 1.3 Kg.m-3
= 330 m.s-1
= 1011 Pa (tube métallique)
= 5.10-4 m (épaisseur de paroi standard)
= 6. 10-3 m (rayon du tube dans la partie étroite et cylindrique de la perce)
= 8.103 kg.m-3 (densité du cuivre ou du laiton)
= 5. 103 rd.s-1 (pulsation correspondant à peu près au milieu de la tessiture)
Avec ces valeurs numériques, l'écart
de l'expression (5) donne 1.7 10-5 . On constate que l'effet est
petit (0.03 cents). Même si la paroi de l'instrument vibre, ça
n'affecte guère les résonances de l'instrument !
Le rapport (eq.7)
est ici de l'ordre de 10-6, la paroi vibre donc très peu.
La pulsation de résonance du tube donnée
par l'expression (6) vaut dans le cas de la trompette : 5. 105 rd/s
(environ 100 kHz) : on est dans le domaine des ultrasons, ce qui explique que
le couplage tube-colonne d'air soit faible. D'après l'équation
(8), la surtension de rayonnement de paroi vaut =
3.10-9, valeur tout à fait négligeable.
Le calcul ci-dessus a été fait pour un tuyau cylindrique. Il faut
s'attendre à un couplage air-tube plus fort que celui évalué
ici dans la partie conique de la perce (pavillon), partie dans laquelle la paroi
du tube s'amincit jusqu'à 0.3mm, avec un rayon qui augmente beaucoup.
Pour un tube de 6 cm de diamètre et 0,3 mm d'épaisseur (valeurs
moyennes d'un pavillon de trompette), et au niveau d'un contre-ut (fréquence
d'environ 1000 Hz), la variation relative de fréquence atteint 0,24 millièmes,
soit presque un demi cent.
D'après le modèle ci-dessus, on doit pouvoir diminuer l'épaisseur
du métal du tube d'une trompette jusqu'à 0.2 mm sans trop de problèmes
de justesse. En revanche, la pulsation de résonance du tube au niveau
du pavillon rentre dans les fréquences audibles : dans ce dernier cas,
elle est de l'ordre de 10 Khz. Il pourrait se faire que la coupure des fréquences
supérieures (prédite par le modèle) affecte le timbre de
l'instrument. De façon assez contre-intuitive, c'est l'instrument à
pavillon épais qui devrait avoir le moins de pertes, et donc le timbre
le plus riche ! Qu'en disent les facteurs ?
Les formules ci-dessus sont vérifiables, mais je n'ai pas encore essayé
: on peut envisager le protocole expérimental suivant : prendre deux
tuyaux longs de 2 m environ, et de même diamètre interne, 1.2 cm.
L'un métallique et à parois épaisses, servira de référence.
L'autre en caoutchouc, servira de test.
On met sur ces deux tuyaux une embouchure de trompette (ou de clarinette, c'est
mieux, le champ de liberté en fréquence est plus réduit),
et on mesure la fréquence de résonance des premiers partiels à
l'accordeur électronique. Le module d'Young du plastique de tuyau d'arrosage
est de l'ordre de 108 Pa; On attend un
d'environ 30 cents, qui doit être observable. La surtension du système
est également mesurable par analyse du transitoire d'extinction avec
un logiciel de transformée de Fourier rapide.
2) Le tube de flûte en bois ou en plastique
La différence principale avec le cas précédent
vient du module d'Young du tube, estimé deux ou trois ordres de grandeur
plus faible que pour un métal : E = 108 à 109
GPa. Cette différence est partiellement compensée par l'épaisseur
accrue du tube : 5 mm contre 0.5 pour un tube métallique.
La conclusion n'est pas la même que pour la trompette : certes,
est de l'ordre de 1 cent, valeur pratiquement négligeable. Mais la pulsation
de résonance du tube n'est plus nécessairement très élevée,
et peut se trouver dans le domaine audible, affectant le timbre de l'instrument
si le matériau de paroi est particulièrement mou. D'autre part,
la surtension de rayonnement paroi n'est plus négligeable dans l'aigu
de la flûte : d'après l'équation (8),
est de l'ordre de 10-2, valeur proche du seuil d'autoentretien. On
commencerait à avoir des difficultés de facture instrumentale
avec des tubes de plastique ou de bois très minces, ou pire encore, des
tubes de carton...Mes essais de fabrication de flûtes dans des tubes PVC
électriques à parois minces ont toujours été assez
décevants. D'après le calcul ci-dessus, ce mauvais résultat
pourrait être imputable à une déperdition d'énergie
par rayonnement des parois. Là encore, l'analyse du transitoire d'extinction
du son par transformée de Fourier rapide doit permettre d'apporter une
confirmation expérimentale à ces élucubrations.
© Juin 2002