Physique des cuivres et effets acoustiques des divers matériaux et de leur traitement
Par Renold Otto Schilke

(Traduction d'un article, probablement le texte d'une conférence, diffusé par la société Schilke et consultable sur le site The Schilke Loyalist*. Les intertitres sont du traducteur.)

Comment construire un instrument juste.
La forme interne d'un instrument en cuivre et de son embouchure a toujours intéressé fortement non seulement les facteurs d'instruments en cuivre, mais aussi ceux qui les jouent. Les harmoniques d'un tuyau ouvert, si le diamètre intérieur est constant, ne peuvent être utilisés comme des notes de la gamme tempérée sans l'usage d'une coulisse d'accord. De nombreux fabricants ont constaté qu'en plaçant des portions de sections coniques, on peut se rapprocher des notes de la gamme usuelle. Par essais successifs et de façon empirique, ils ont obtenu une forme de tube permettant de produire des instruments utilisables. Au siècle dernier, le belge Victor Mahillon a montré qu'on peut contrôler la position des nœuds de pression de façon à ajuster la hauteur de chaque résonance, permettant ainsi de créer une série de notes utilisables. Sa méthode consiste à modifier la section du tube au voisinage des nœuds de pression de façon à obtenir la hauteur voulue.

Expliquons d'abord ce qui se passe quand une impulsion d'énergie est créée par l'expulsion d'air sous pression par les lèvres qui entrent en vibration. L'air entre en vibration dans la cuvette de l'embouchure. C'est pourquoi la forme de la cuvette est si importante pour obtenir le son que désire l'instrumentiste. L'air atteint sa pression maximale dans le "grain" (la partie la plus resserrée de l'embouchure, entre la cuvette et la queue), où se crée la structure vibratoire de l'air contenu dans l'instrument, comme se crée la structure vibratoire de la corde d'un violon au point de contact de l'archet. A la sortie du pavillon de l'instrument, la pression de l'air est constante, ce qui crée une onde stationnaire qui s'établit en retour jusqu'au larynx de l'instrumentiste. C'est pourquoi des instrumentistes ayant des cavités buccales différentes obtiennent des hauteurs de son différentes d'un même instrument. J'en ai eu un bon exemple quand M. Arnold Jacobs et M. A. Hirada (du Japon) essayèrent des tubas dans mon studio. Pour jouer à la même hauteur, M. Jacobs, qui a une cavité buccale très large, devait rentrer la coulisse d'accord à fond tandis que M. Hirada, dont la cavité buccale est très petite, la tirait de façon à allonger le tube de vingt centimètres.

En cherchant une méthode pour déterminer la forme de tube optimale, j'ai d'abord essayé l'approche théorique. J'ai donc dessiné pendant plusieurs années les structures nodales de la trompette, les superposant sur des calques pour trouver les endroits exacts où se produisent les nœuds et les ventres de pression pour chaque note. En effet, c'est là qu'il faut agir pour corriger une note, mais s'il s'agit d'un point commun à plusieurs notes, la correction favorable pour l'une peut être défavorable pour les autres. Mais quand j'ai essayé d'appliquer cette théorie, je me suis rendu compte que je faisais fausse route. Si je n'avais affaire qu'à des tubes cylindriques, la méthode aurait pu s'appliquer, mais comme l'embouchure et le pavillon ont des formes particulières, il aurait fallu développer une nouvelle formule pour chaque section de l'instrument.
C'est alors que je rencontrai le Dr. Aebi et que nous eûmes une discussion sur ce sujet. Vous savez que le Dr. Aebi est un corniste amateur et peut-être un des plus grands physiciens. Il avait essayé de localiser la structure nodale du cor en déroulant complètement l'instrument et en insérant un petit microphone au bout d'une baguette pour enregistrer le signal sur un oscilloscope pendant l'émission d'un son. Dans son laboratoire, nous avons commencé par utiliser un micro de contact de façon à travailler avec l'instrument sous sa forme normale, pendant qu'un instrumentiste jouait une note donnée. En déplaçant le micro le long de l'instrument jusqu'à la cavité buccale du musicien, et en filmant les oscillogrammes avec une caméra, nous avons pu déterminer précisément les nœuds et les ventres de pression. A l'emplacement d'un ventre de pression pour une note donnée, il serait possible de maintenir cette note inchangée même si on enlevait une section du tube à cet endroit précis. J'en ai souvent donné la démonstration avec une trompette en ut. Quand on joue un sol 2ème ligne sur une trompette en ut, il y a un nœud de pression au niveau de la clé d'eau, et si on l'ouvre, la vibration s'arrête. Si on joue le do au dessus, la clé d'eau est entre un nœud et un ventre et quand on l'ouvre, le son monte d'un ton si bien qu'on peut l'utiliser pour triller. Si on joue le mi au dessus, le son est inchangé que la clé soit ouverte ou non. En fait, à cet endroit, on pourrait enlever 15 mm de tube de l'instrument sans que cela change quoi que ce soit pour cette note particulière.

Je sais qu'il est difficile de croire qu'on peut changer la hauteur d'un instrument simplement en changeant la section du tube de quelques centièmes de millimètre à l'endroit exact du nœud de pression de la note que l'on veut affecter. Si vous examinez attentivement l'intérieur de la branche d'embouchure de mon instrument, vous verrez que j'ai corrigé les notes fautives en quatorze endroits différents. A certains endroits, la note est corrigée de presque un huitième de ton en faisant varier la section de moins d'un millième sur une longueur de six millimètres. Comme indiqué précédemment, on ne peut corriger la hauteur d'une note qu'à certains endroits. Il faut trouver un point qui corresponde à un nœud de pression pour cette seule note. Si cet endroit correspond à plusieurs notes, elles seront affectées de façon incorrecte. Certaines des corrections se font au niveau du pavillon. On ne peut pas faire les corrections sur les coulisses correspondant aux trois pistons, mais on le peut sur la coulisse d'accord, et c'est aussi la raison pour laquelle on trouve sur mes instruments des branches d'embouchure aussi longues, plus longues que chez les autres facteurs d'instruments.
J'espère que j'ai été clair dans cette approche de la physique interne des cuivres, mais je sais aussi que c'est difficile à admettre la première fois. Quand j'ai présenté ces résultats à Hamamatsu, pour en faire une démonstration très frappante, j'ai fait construire un orgue à tuyaux d'une octave avec tous les tuyaux exactement de la même longueur. En ajustant les proportions internes des tuyaux et la section aux nœuds de pression, j'ai pu produire un gamme complète sur une octave.
Il est important aussi dans la construction d'un instrument en cuivre de ne pas mettre d'entretoise soudée n'importe où, en particulier sur les nœuds de pression multiples. Même avec le peu d'entretoises que j'ai placées sur mes instruments à accord par le pavillon, deux notes sont affectées. Bien sûr, elles varient selon la tonalité de l'instrument. Certaines trompettes, telles que les trompettes en mi bémol à accord par le pavillon et les trompettes en sol et en fa, peuvent être jouées par la majorité des instrumentistes sans utiliser la coulisse mobile. Pour comprendre comment c'est possible, reportez vous à mes explications précédentes.

Importance du choix du métal et de son traitement.
Parlons maintenant quelques minutes des matériaux et de leur effet sur l'acoustique des cuivres. La majorité des pavillons des cuivres sont constitués de diverses sortes de laiton, composées de cuivre et d'autres métaux, selon les caractéristiques recherchées. La composition usuelle contient du cuivre, de l'étain et un peu d'antimoine pour la dureté. Certains utilisent du cuivre, du zinc et de l'étain. Après avoir expérimenté sur mes instruments, ma formule favorite jusqu'à une date récente était une combinaison de 60% de cuivre et 40% d'argent qui était spécialement faite pour moi, uniquement pour les pavillons de mes instruments. Mais il y a un an environ, j'ai trouvé une nouvelle formule que j'appelle "bronze de béryllium". Ce matériau particulier a un effet acoustique remarquable par sa capacité à transmettre l'énergie. Sa projection du son est absolument phénoménale. Mais voyons les différents métaux que nous avons expérimentés. Nous avons monté une expérience dans laquelle nous avons utilisé de l'acier, de l'aluminium, des matières plastiques variées, du verre, de l'argent, différentes sortes de laiton et enfin du plomb. Pour en donner les résultats aussi brièvement que possible, je choisirai les deux extrêmes. Le pavillon en acier, qui était trempé pour être extrêmement dur, a donné peut-être un des résultats les plus intéressants. Beaucoup de gens testent un pavillon en le frappant avec le doigt ou l'ongle, et en frappant le pavillon en acier, il émettait un son très clair, comme une clochette. Mais en jouant de l'instrument, le son était extrêmement mat. En recherchant la raison, nous avons regardé l'oscilloscope pendant que l'instrumentiste jouait et constaté que le spectre de vibration du pavillon écrasait la structure harmonique du son lui-même. A l'autre extrémité était le pavillon en plomb. Ce pavillon, frappé du doigt, émettait un son très mat ressemblant à celui d'un morceau de bois. Mais le son qui en émanait quand l'instrument était joué était extrêmement brillant au point de paraître artificiel. Cela apparaissait sur l'oscilloscope comme une structure harmonique parfaite, sans aucune distorsion, et il en résultait un son absolument pur mais musicalement inutilisable, sauf pour des effets spéciaux comme les produiraient certains instruments électroniques. Le son présente normalement des harmoniques au-dessus et au dessous de la fondamentale, visibles sur un oscilloscope. Ces "distorsions", si on peut les appeler ainsi, donnent de la "chaleur" au son. Ces distorsions sont nécessaires pour que le son soit accepté comme "musical" par nos oreilles.

Pour continuer la discussion sur les matériaux qui composent un cuivre, il faut parler aussi du traitement du métal après sa mise en forme de pavillon. Pour l'ensemble de l'instrument, plus il est inerte aux vibrations, meilleur il est. Cependant, l'épaisseur et la dureté du métal de la branche d'embouchure, de la coulisse d'accord et du pavillon affectent considérablement la qualité du son produit par l'instrument. Par exemple, avec un laiton de formule 70/30 ou 80/20, il est nécessaire après mise en forme du pavillon de le recuire en deux endroits différents, cela pour corriger la dureté excessive causée par le martelage du pavillon chaudronné. Si on le laissait tel quel, le son serait très sombre (rappelez vous les résultats obtenus avec un pavillon en acier trempé). Le métal trop dur produit trop de vibrations propres. En ce qui concerne l'épaisseur d'un pavillon en laiton normal, je préfère que les zones critiques aient moins de 0,35 mm d'épaisseur, en fait entre 0,30 et 0,35 mm. Par contre, avec le bronze de béryllium, je peux faire des pavillons dont les zones critiques font moins de 0,17 mm et en particulier un pavillon que j'ai terminé pour M. Faddis de New York fait moins de 0,07 mm. Ce pavillon particulier lui convient particulièrement bien dans la mesure où il joue la plupart du temps dans l'extrême aigu. La réponse est excellente pour ce genre de travail. En d'autres termes, tout dépend de l'usage que l'on veut en faire et du type de son que l'instrumentiste recherche. Tout cela détermine la façon exacte dont un pavillon doit être construit. Comme vous le voyez, beaucoup de choses influencent les propriétés acoustiques d'un instrument en cuivre.

Venons en à la controverse permanente entre ceux qui préfèrent les instruments vernis et ceux qui les préfèrent argentés ou dorés, ou encore ceux qui préfèrent les instruments en laiton brut sans aucun traitement de finition. Voici mes conclusions sur les trois types de finition. J'ai commencé par choisir moi-même trois instruments qui jouaient de façon absolument identique. J'en ai argenté un, j'ai fait faire un très bon vernis sur le second et j'ai laissé le troisième à l'état brut. J'insiste sur le fait que ces trois instruments jouaient de façon identique au départ, autant qu'il est possible. Plusieurs trompettistes de l'orchestre symphonique ont participé aux tests, ainsi que d'autres trompettistes professionnels de Chicago, et ils ont tous été d'accord sur les résultats. La conclusion a été que l'argenture n'affecte pas les qualités de jeu d'un cuivre, c'est à dire que l'instrument argenté et l'instrument laissé en laiton brut jouaient de façon identique. L'instrument verni paraissait avoir changé de façon importante. Alors qu'à l'origine il était identique aux deux autres, sa qualité de son était dégradée et son accord général était modifié.

Pour expliquer ces conclusions, c'est à dire pourquoi l'instrument argenté et l'instrument non traité jouaient identiquement, contrairement à l'instrument verni, laissez moi vous donner quelques chiffres. L'épaisseur d'argent sur un instrument argenté est seulement de un centième de millimètre. Un vernis bien réalisé fait environ 0,15 mm d'épaisseur. Maintenant, pour avoir une base de comparaison, une feuille de papier ordinaire fait environ 0,08 mm d'épaisseur, donc la couche d'argent fait 1/8ème de l'épaisseur d'une feuille de papier, alors que le vernis a une épaisseur double. L'argent lui-même est parfaitement compatible avec le laiton. Le vernis, si c'est un bon vernis cuit au four, est presque aussi dur que du verre et pas du tout compatible avec le laiton. Le vernis sur le pavillon d'un instrument fait 0,15 mm à l'extérieur et autant à l'intérieur, ce qui donne une épaisseur totale de 0,3 mm. C'est presque l'épaisseur du métal de mes instruments, et donc le vernis va presque doubler l'épaisseur du pavillon. Vous voyez donc qu'il ne peut qu'affecter la qualité de jeu de l'instrument.

Importance de la précision d'usinage.
Voilà pour les matériaux entrant dans la fabrication de l'instrument. Maintenant, passons au point suivant qui est peut-être le plus important, l'étanchéité des pistons. Vous connaissez les bois et l'importance pour la justesse de l'étanchéité du tamponnage. C'est la même chose pour les cuivres. S'il y a la moindre fuite aux pistons, à la clé d'eau ou à une soudure, cela produira un effet certain sur la justesse. C'est le résultat d'une perturbation de la structure nodale de la vibration. A l'emplacement d'une fuite, il se produit une turbulence qui crée un nœud de pression et établit une onde stationnaire qui affecte la justesse.
Je pense que la tolérance d'ajustage des pistons doit être inférieure au millième, c'est à dire un demi-millième de part et d'autre du piston. Cela permet un jeu libre et donne de bonnes qualités acoustiques à l'instrument. Si l'instrument n'est pas complètement étanche, tout ce que nous avons dit jusqu'ici est sans objet. Toute correction faite sur l'instrument par variation de la section du tube est inefficace si l'instrument n'est pas absolument étanche.
Maintenant, ça ne veut pas dire que je crois essentiel que l'air traverse l'instrument. Ça ne l'est pas ! Si, après que les lèvres soient entrées en vibration, l'air pouvait être dirigé ailleurs qu'à travers l'instrument, le son serait optimal. Ceux qui comprennent la physique le savent. Cependant, il y a des gens qui ne le comprennent pas. J'ai posé la question un jour où je donnais une consultation à des membres d'un orchestre, après avoir entendu leurs diverses considérations sur l'air qui devait traverser l'instrument. Je leur demandais "est-il nécessaire à la production du son que l'air transporte le son à travers l'instrument ?". Tous acquiescèrent. Pour effectuer ma démonstration, j'ai fait venir un tubiste sur la scène, lui ai fait souffler de la fumée dans son instrument puis en jouer. Il joua plus d'une minute avant que de la fumée apparaisse à la sortie du pavillon. En conclusion, il faut de l'air dans l'instrument pour que s'établisse la structure vibratoire. Il n'est pas nécessaire que l'air se déplace plus dans l'instrument que l'eau dans un étang lorsqu'on y jette une pierre. L'impulsion d'énergie se propage avec l'onde dans l'eau. C'est la même chose avec le son et l'air. Le son sort de l'instrument et se propage de la même manière.

Je sais que j'ai évoqué beaucoup de thèmes qui sont encore controversés. Mais je déteste affirmer quelque chose avant de l'avoir étudié et prouvé, non seulement à moi-même mais aussi à de nombreux musiciens de premier plan. J'espère que les faits que j'ai rapportés vous auront intéressés.

Renold O. Schilke

(traduit en 2001 par Joël Eymard)