Cet  article s’adresse principalement aux musiciens pratiquant des instruments à  embouchure. Ceux-ci utilisent deux membranes qui font partie intégrante de  notre corps : les lèvres. Mais les autres instrumentistes à vent se servant  de leur bouche pour pratiquer, peuvent lire aussi ces quelques lignes en  comprenant que toute action crispée et volontaire sur cet endroit du corps  conduit aux mêmes effets cité ci-dessous.    
  Le  travail des lèvres, prend une place trop importante dans le jeu de certains musiciens.  Ils s’enferment dans une recherche de différentes postures de celles-ci afin  d’en moduler la pince, en fonction  des changements de tessiture. Cette préoccupation occulte bien souvent le  processus principal de réalisation sonore basé sur "la respiration décontraction" dont nous avons parlé dans les pages précédentes. Ces différentes postures créent une contraction des  muscles de la face, nuisible à une aisance de jeu instrumental. L’embouchure  vient plus ou moins écraser les lèvres. On parle dans ces cas là de "jeu sur la gueule". Celui-ci conduit  très vite à une fatigue physique du musicien, à une perte de justesse initiale  (le son monte) et une différence de facture sonore. Les corrections sont  toujours possibles mais que de complications, de fragilité, et de manque de confiance  en soi. 
Tout  ceci Monsieur Robert Pichaureau l’avait vécu dans ses débuts de trompettiste.  Il a eu l’intelligence de se remettre en question et de s’explorer de la tête  aux pieds, et nous le faire partager. On ne le remerciera jamais assez. Comme  dans les pages précédentes j’essaie de vous traduire par écrit  ce qu’il préconisait dans ses cours et que je  vis encore aujourd’hui. Je fais référence également au journal Médecine des  Arts n°8 (juin1994)  déjà cité dans l’introduction. Le constat médical physiologique réalisé par un  collège de professeurs de la   Faculté Pitié Salpetrière de Paris a révélé un appui peu  important et régulier de l’embouchure sur mes lèvres. En effet, pour un même  exercice d’arpèges grave-aigu-grave la pression exercée sur les lèvres est de  0,5 kg sur l’aigu pour moi, elle est de 3 kg pour l'autre instrumentiste. Le "traumatisme" (terme médical) supporté  par les deux lèvres et les dents ne sera forcément pas identique. Les  conséquences seront beaucoup plus amplifiées dans le second cas. Réfléchissons  donc sur la procédure la plus favorable à un jeu durable et sans souffrance  inutile.
Nous  constatons que le bruit du son perçu à la sortie de l’instrument est le  résultat de l’amplification d’une vibration qui se forme grâce aux deux  membranes "lèvres". On peut la comparer au bruit que fait le vol du  moustique. Mais cette vibration ne doit pas être acquise par une pression  musculaire de l’une sur l’autre avec une idée de fermeture à forcer, mais par  un passage d'air chaud  (comme celui du  chant) entre les deux membranes raffermies. Pour illustrer mes propos je prends  l’exemple d’une conversation : "bonjour,  peut-être partiras-tu à Paris ?" Si vous insistez sur les  consonnes en étant trop attentionné sur le départ de chaque phrase ou mot, vous  risquez d’obtenir une conversation hachée, postillonante et fort peu  mélodieuse : "Bonjour, Peut-être Partiras-tu à Paris ?"  Le fait de se concentrer sur le départ de la prononciation crée ce problème.  C’est le "pou" de  l’instrumentiste à embouchure qui a remplacé le fameux "tu" des anciens, obtenu par le  retrait rapide de la langue positionnée entre les lèvres comme pour retirer le  brin de tabac collé sur celles-ci. Cette façon de faire a de moins en moins  cours heureusement, mais le "pou"  de remplacement reste tout de même dangereux   car il suppose une fermeture des lèvres au préalable qui ne s’ouvriront  que par une force de sortie sous pression.   Cela va à l’encontre de tout ce que j’ai expliqué dans les pages précédentes.
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  Certes,  la position de la lèvre supérieure et de la lèvre inférieure est à considérer,  mais à la même valeur de préoccupation que lorsque l’on siffle.  Exemple siffler en travaillant. Cependant: certaines personnes n’arrivent  pas à siffler soit parce qu’elles forcent sur le rond musculaire soit parce  qu’elles le relâchent trop. Il faut trouver un juste milieu. Et, souvent,  pendant ce moment de recherche les gens ont tendance à bloquer leur respiration  par effet de contraction attentive. Lors de problèmes de pince, il ne faudrait  jamais travailler les lèvres isolément du reste des mouvements corporels  respiratoires.
  Nous  allons donc détailler cette partie extérieure du corps qui est la première à  être en contact physique avec l’instrument. La partie de l’instrument à être en  contact avec le corps s’appelant l’embouchure. 
  D’un  côté nous observons une masse de chair vivante, en deux parties, constituées de  muscles irrigués par de multiples petits vaisseaux sanguins, le tout reposant  sur les dents. De l’autre un seul élément, masse métallique (le plus souvent) cercle  inerte et dur. Cette première comparaison s’appuyant sur la simple description  de la matière de ces deux éléments, laisse présager lors de leur rencontre une "défaite pénible et douloureuse de la chair  sur le métal". Certains trompettistes au cours de leur histoire en ont  fait les frais (courbatures des lèvres, opérations chirurgicales etc.). Donc il  devient très important d’adopter une posture des lèvres pour les placer dans un  état de pince le plus efficace, le plus confortable, et le plus durable  possible. Je rappelle auparavant que la pratique instrumentale est un des  épanouissements artistiques auquel peuvent se livrer les êtres humains, et non  une souffrance physique dont le résultat et la valeur artistique se mesureraient  à celle-ci.  
  Pour  ce faire, il est logiquement nécessaire de rassembler un maximum de chair, donc  de muscles dans un cercle concentrique afin de recevoir le cercle métallique de  l’embouchure. Louis Maggio illustre très bien cela avec la photo d’un chimpanzé  vu de face. Les deux lèvres se rassemblent, les deux commissures ont tendance à  se resserrer (fig.a). On peut y voir l’image d’un volcan. Ce qu’il faut éviter,  c’est l’écartement des commissures pour former une pince qui ressemblerait à  une paire de tenailles (fig.b).

 On  peut également imiter la posture d’appel d’un petit animal pour mettre  rapidement les deux lèvres en position. 
  L’action  de l’embouchure doit être réduite à une simple réception des vibrations.  J’appelle celle-ci "lavabo à  réception de vibrations". Bien entendu la forme de ce "lavabo" agit  sur la facture sonore. La profondeur, la largeur de cuvette, ses rebords, le  grain et l’évasement intérieur de la queue ont leur incidence sur la conduction  des vibrations dans le tuyau qui se trouve derrière (trompettes, cors,  trombone, tubas…). 
  Cela  étant acquis, pour éviter de garder à l’esprit ce "problème" de vibrations ("pourvu que j’aie une vibration à l’instant T") on ne doit pas  chercher à la réaliser (cela paraît aberrant ! et pourtant…). Pour mieux  comprendre, revenons sur la production du son avec notre voix. Au moment de  parler, les cordes vocales fonctionnent sans pour autant que nous cherchions  spécifiquement à les faire vibrer. Le passage de l’air chaud retenu est  suffisant. Plus nous retenons, plus la vibration est mélodieuse. (voir pages précédentes). Malheureusement certains métiers utilisant la parole  peuvent nous conduire à une dérive qui sans y prendre garde, nous abîment les  cordes vocales jusqu’à l’extinction de voix : le professeur des écoles par  exemple. Il aura trop insisté musculairement et volontairement sur sa gorge. Il  n’aura pas suffisamment retenu son souffle. On dit qu’il se sera extériorisé et  qu’il aura saturé le passage entre ses cordes vocales.
  Me  basant sur cette comparaison, je préconise dans un premier temps de chanter un "U" très profond, donc  de mettre en vibration les cordes vocales juste avant de mettre en vibration  les lèvres, en les rapprochant comme  indiqué plus haut. Garder les deux sons dans un premier temps. Le constat est  que l’esprit est moins sur la vibration des lèvres. La volonté de les faire vibrer  est moins prégnante. Si on ne peut réaliser les deux sons en simultané cela  veut dire que l’on utilise trop d’air, qu’il n’est pas retenu (ref. travail du  diaphragme). Dans un deuxième temps il faudra essayer de changer la tessiture  du son de la trompette sans pour autant  faire bouger la hauteur du chant. Cela ne vient pas facilement au premier essai  mais il faut insister journalièrement, et gagner petit à petit de la tessiture  instrumentale. Il ne faut pas chercher à donner de la couleur au chant. Les  cordes vocales doivent fonctionner d’une manière la plus lâche possible. Le  mieux est d’imiter un râle s’approchant d’un son grave relatif à chaque  personne sans grattement des cordes  vocales. Pendant tout ce temps de travail il est important de garder les lèvres  rassemblées comme indiqué sur le croquis ci-dessus. Les sensations corporelles  internes sont à découvrir et à imprimer dans notre subconscient  afin de les répliquer sans utilisation des  cordes vocales.
  Pour  mieux comprendre la vibration des lèvres, il est intéressant de comparer le  passage de l’air chaud au rebond d’une balle en caoutchouc. Celle-ci rebondira  très rapidement sur une surface dure, mais retombera sans rebond sur une surface  molle. D’où l’intérêt d’avoir les lèvres fermes pour que l'air chaud puisse  rebondir et former la vibration. D’où malheureusement l’instinct de l’appui de  l’embouchure sur celles-ci. En effet l’appui durcit et tend les deux membranes.  Ceci est absolument à prohiber si l’on veut perdurer dans le jeu, posséder un  aigu ou suraigu  facile et non  aléatoire.         
  Comme  vous le constatez, on ne doit pas travailler la partie "mécanique pince" en la dissociant   du reste du corps. 
  En  résumé il faut poser l’embouchure sur des lèvres  rassemblées, fermes, et non hermétiquement  collées, puis utiliser le souffle du chant afin que la vibration se réalise. A  partir de là il faut s’éloigner mentalement au maximum de la sensation de  l’embouchure sur ses lèvres  et ne  ressentir que les sensations à l’intérieur de son corps. En terme simple :  s’intérioriser.
  Il  n’est pas très facile d’expliquer par écrit la méthode de jeu car la polysémie  des mots et la différence de culture de chacun peut amener des différences de  compréhension et d’interprétation. Je l’avais déjà signalé en préambule lors de  mon premier article. C’est aussi pour cela que Monsieur Robert Pichaureau  n’avait pas voulu figer par écrit ce qu’il vivait et expliquait pour éviter  toutes dérives et mauvaises interprétations. Il ne voulait pas enfermer son  discours dans de "pré-requis savants". Il  le voulait non hermétique, accessible à tout un chacun  qui veut bien se pencher simplement et humblement sur lui-même.   
  C’est  aussi pour cela que j’insiste sur le fait de rencontrer les gens. D’expliquer  oralement ma démarche avec eux (lors de séminaires où journées de rencontre). Et  bien entendu pendant les cours aux conservatoires où de nombreux parents pour  les plus jeunes, sont intéressés par ce discours qu’ils peuvent d’ailleurs  replacer dans les activités et le bien-être de la vie de tous les jours. 
  
  
  Pour  poursuivre dans la logique et la cohérence, les prochaines pages concerneront  la pédagogie instrumentale qui découle de cette approche basée sur la  respiration dite naturelle, l’observation corporelle et la libération de ses  sensations au service de la musique. Monsieur Pichaureau tenait sur le fond ces  propos: "un artiste sommeille en  chacun, sans exception. Ses racines prennent force dans son être profond. Il  appartient à chacun de réaliser le travail de mise à nu. C’est par une recherche  permanente, dans une confiance en soi  tous les jours renforcée que l’artiste se révèle.  Et non dans les mesures coercitives, avec son  lot de  souffrances, avec un esprit  arriviste et dominateur. La remise en question assure l’évolution de l’être  humain".
  Cette  pensée humaniste est, je le pense et vis profondément, la base d’une pédagogie  qui tient compte d’un respect profond pour l’être humain.
© Alain Faucher 2006