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La "trompette d'eau", un analogue à ce qui se passe à l'intérieur d'une trompette

Des vagues d'eau se déplaçant dans un canal ouvert de section variable obéissent précisément aux mêmes équations que les ondes sonores qui oscillent dans une colonne d'air de section variable. Le canal est donc un modèle facilement visualisable de la colonne d'air de l'instrument. L'oscillation longitudinale de la colonne d'air est remplacée par le mouvement de l'eau dans le canal et nos lèvres et nos poumons sont remplacés par une valve d'admission d'eau branchée sur l'alimentation en eau de la ville. La figure 2 montre cette trompette d'eau hypothétique, qui est analogue à notre instrument de musique familier.

Figure 2
Figure 2 : La "trompette d'eau"

Dans cette machine nous supposerons que la valve d'admission d'eau est commandée par la hauteur de l'eau à une extrémité d'un canal incliné, dont l'autre extrémité communique avec la mer. La valve est réglée pour injecter une petite quantité d'eau dans le canal chaque fois que le niveau d'eau est assez haut à cet endroit, et pour couper, ou réduire en tout cas, le flux chaque fois que l'eau tombe au-dessous de ce niveau critique. Si on produit un balancement de l'eau dans le canal et si ce balancement est assez ample pour déclencher l'ouverture de la valve, la valve s'ouvrira et se fermera de façon synchronisée avec le balancement - une installation qui pourra évidemment entretenir indéfiniment ce flux et reflux de l'eau.

En frappant un poêlon avec une cuillère, une barre de fer avec un maillet, une corde de piano avec un marteau, ou l'extrémité d'une colonne d'air avec une claque de la main, on peut mettre en vibration complexe le poêlon, la barre, la corde, ou la colonne d'air. Cette vibration complexe est composée d'un jeu de vibrations partielles, dont chacune a son propre mouvement caractéristique et sa propre fréquence. L'amplitude de vibration de chacun de ces modes vibratoires dépend de l'endroit et de la façon dont l'impulsion est appliquée, ainsi que de sa propre énergie ; mais les fréquences auxquelles ces vibrations se produisent sont déterminées uniquement par l'objet qui a été frappé. Ces fréquences caractéristiques, qui sont aussi appelés les fréquences naturelles de l'objet en question, n'appartiennent pas nécessairement à une série harmonique, et n'ont pas non plus nécessairement une autre répartition régulière. Ces remarques générales sur les vibrations naturelles s'appliquent parfaitement au mouvement de l'eau du haut en bas de notre canal s'ils sont provoqués par une impulsion d'eau unique entrant par une ouverture momentanée de la valve.

Supposons maintenant que dans notre analyse initiale de la trompette d'eau, nous choisissions une forme particulière pour son canal et voyons si elle pourrait commander la valve (qui accomplit la fonction de nos lèvres sur une trompette réelle) de façon à rendre possible une oscillation permanente (comme on peut en obtenir quand un archet agit sur une corde musicale, ou quand un musicien souffle dans son instrument). Cette oscillation permanente, qui dure jusqu'à ce que les poumons du musicien soient vidés, est tout à fait distincte dans sa nature des vibrations naturelles déclenchées par une impulsion, qui doivent inévitablement s'éteindre en raison des effets de friction, comme c'est le cas avec le poêlon, la barre ou la corde de piano frappés. Donnons à notre canal un fond incurvé pour que l'eau soit très peu profonde à l'extrémité fermée où se trouve la valve ("l'embouchure"), et assez profonde à l'extrémité ouverte sur la mer. Supposons, pour simplifier, que le canal a une longueur et une profondeur telles que le mode naturel d'oscillation ayant la fréquence la plus basse soit un mouvement de flux et reflux se reproduisant une fois par seconde. Si c'est le seul mode d'oscillation, il demandera alors à la valve d'admettre un peu d'eau toutes les secondes. Bien, mais qu'en est il du deuxième mode d'oscillation d'eau qu'il est possible d'avoir dans ce canal ? On pourrait avoir (pour choisir un exemple particulier) un canal ayant une forme telle que le deuxième mode naturel de vagues se répète 2.29 fois par seconde, de façon qu'il commande à la valve d'injecter les paquets d'eau à cette fréquence. Dans un canal ayant cette forme, le troisième mode d'oscillation pourrait se produire 3.58 fois par seconde, le quatrième 4.88 fois par seconde, et cetera.

Figure 3
Figure 3 : Intervalles d'ouverture de la valve pour les différents modes

La première impulsion d'eau injectée agit comme un marteau de piano pour exciter le mode d'ondes caractéristique de l'eau dans le canal. La question surgit alors concernant le moment où la deuxième impulsion doit avoir lieu pour que tous ces modes se maintiennent. La ligne supérieure de la figure 3 montre en points noirs les instants, seconde par seconde, auxquels la valve doit s'ouvrir pour entretenir l'oscillation de l'eau à sa fréquence la plus basse. La deuxième ligne montre de la même façon ce qui est nécessaire pour le deuxième mode, et cetera. Toutes les ondes commencent ensemble dans notre canal à la première injection de liquide, mais elles entrent très rapidement en conflit quant à l'instant où la valve doit injecter la petite quantité d'eau suivante. Nous voyons que tandis que le mode 1 voudrait faire ouvrir la valve après exactement 1 seconde, le mode 2 vote pour l'ouvrir plus tôt à environ 0.87 secondes et le mode 3 préfère faire injecter de l'eau au bout de 0.84 secondes. Le mode 4 pose un problème différent : il serait également heureux d'avoir une injection très tôt, à 0.82 secondes, donnant une impulsion à sa quatrième oscillation, ou une un peu plus tard à 1.02 secondes, au moment de sa cinquième oscillation. Puisque toutes ces ondes individuelles doivent coopérer pour accumuler l'eau haut assez pour ouvrir la valve, nous constatons que notre canal d'eau incliné ne trouverait pas si facile d'entretenir une oscillation stable. Si d'autre part le niveau d'eau n'a pas besoin d'être très haut pour ouvrir la valve, il suffira d'une coopération partielle parmi les modes. Dans ces conditions un certain type d'oscillation est possible dans le canal. Le système pourrait trouver un compromis réalisable à environ 0.85 secondes, qui correspond à une fréquence de répétition globale de 1.18 balancements par seconde. De façon assez intéressante, cette fréquence n'a aucune relation simple avec chacune des fréquences naturelles du canal, bien qu'elle soit influencée principalement par les modes 2, 3 et 4. L'oscillation est cependant entretenue par un certain degré de coopération entre tous les modes.

Une autre sorte d'oscillation qui pourrait être imaginée dans cette trompette d'eau est celle dans laquelle le mode 1 oscillerait de façon synchronisée avec chaque cinquième oscillation du mode 4, les modes 2 et 3 étant laissés hors du jeu. Il s'avère cependant que les oscillations de ce type ne sont pas possibles habituellement à cause des certains effets anti-coopératifs résultant des modes ignorés. Nous trouvons des exemples de ces phénomènes dans le monde des instruments à vent et nous rencontrerons des exemples pratiques de plusieurs d'entre eux dans la suite de ce chapitre.

Notre approche introductive par les modes d'ondes de l'eau dans un canal ouvert nous donne une première idée de l'importance musicale de la théorie acoustique des ondes dans un canal de largeur variable et de la compréhension technique de la façon dont un dispositif de contrôle de flux peut coopérer avec une colonne d'air pour y entretenir des oscillations. Il faut satisfaire à certaines exigences mécaniques pour produire un son et à des exigences plus rigoureuses si nous voulons produire des sons agréables de façon fiable. Les débuts d'une compréhension scientifique de ces questions remontent à pas mal d'années et nous sommes maintenant en mesure de laisser de côté notre trompette d'eau métaphorique et de nous pencher sur quelques points d'histoire de l'acoustique. Commençons par l'aspect "contrôle de flux" de la production du son dans les instruments à vent.

L'acoustique de la trompette
Notions préliminaires d'acoustique
La "trompette d'eau", un analogue à ce qui se passe à l'intérieur d'une trompette
La fonction des lèvres du musicien
La fonction du tuyau et du pavillon - A l'intérieur de la colonne d'air
La coopération requise pour un résultat musical
La trompette baroque
Le spectre interne de la trompette moderne
Le spectre interne de la trompette baroque
Relation entre le spectre interne et le timbre perçu
La trompette de Menke
Le problème d'une attaque propre
Mahillon revisité
Conclusion
Notes bibliographiques