English original version
Le problème de l'attaque propre

Jusqu'ici nous avons exploré les exigences acoustiques qui doivent être satisfaites par une trompette pour jouer des notes tenues unes à unes. J'ai aussi montré qu'en général un instrument qui joue avec stabilité et clarté aura aussi un beau son, au sens du musicien, et aussi qu'il peut être construit pour jouer juste. On exige encore une autre caractéristique d'un instrument de musique de haute qualité : il doit commencer les notes proprement et immédiatement, et pardonner de petites inexactitudes de tension des lèvres du musicien quand il passe rapidement d'une note à la suivante.

On peut regarder les propriétés acoustiques d'une colonne d'air qui contribuent à une attaque propre pour chaque note dans deux domaines. Tout d'abord, tout ce qui contribue à une collaboration "heureuse" pendant la durée de tenue d'une note contribuera en général au développement rapide d'une vibration quand on commence une note. Il semble évident que le positionnement des pics de résonance aux fréquences qui favorisent l'entretien de la vibration devrait aussi favoriser la mise en vibration. Pour le joueur de bois, c'est pratiquement suffisant. Mais le joueur de cuivre a encore un obstacle à surmonter à cause de la grande longueur de l'instrument avec lequel il produit les mêmes notes que les bois plus courts. Essentiellement, il doit s'accommoder de ce que dans un instrument long, il faut du temps aux "messages" acoustiques pour voyager de l'embouchure au pavillon et vice-versa, de façon à indiquer aux lèvres la coopération requise avec la colonne d'air.

Voyons ce qui arrive à la partie initiale de la perturbation acoustique créée par les lèvres du musicien quand il essaye de commencer une note. Cette perturbation voyage le long du tube avec une vitesse qui dépend du taux d'évasement de la colonne d'air, et ensuite dans la partie évasée du pavillon une partie de cette onde est renvoyée vers l'embouchure, le reste (généralement une faible part) étant émis de dans la salle, où nous pouvons l'entendre. L'onde réfléchie, en retournant à l'embouchure, "indique" aux lèvres comment et quand elles doivent rouvrir pour admettre la bouffée d'air suivante dans la séquence des bouffées d'air qui entretiennent le son quand tout s'est installé. Jusqu'à ce que les premières réflexions ne commencent à revenir, les lèvres agissent seules. La colonne d'air n'a pas encore exprimé sa préférence pour l'une ou l'autre des fréquences avec lesquelles elle est capable de collaborer. Un excellent instrumentiste, du genre qui a appris à "buzzer" avec ses lèvres avec une justesse parfaite même en jouant sur un anneau de cuivre, a peu de problèmes avec une bonne trompette. Il buzze la note voulue et la colonne d'air est très heureuse de collaborer à son rythme propre. Bien sûr, la collaboration ne peut pas commencer avant le délai d'au moins un aller et retour complet du son initial pour parcourir la colonne d'air et revenir, et il faut encore deux ou trois allers et retours avant que le régime d'oscillation ne se soit complètement installé. Dans un passage musical rapide, il y a à peine le temps d'installer un régime d'oscillation avant de devoir laisser la place au suivant.

Nous sommes maintenant en mesure de comprendre pourquoi les petites irrégularités de diamètre ou de l'angle de conicité dans la colonne d'air peuvent être fatales à une attaque propre. Même une petite discontinuité de diamètre au milieu de la colonne d'air (produite par la coulisse d'accord, etc), ou un changement mal choisi de conicité renverra un écho prématuré de taille significative à l'embouchure, un écho qui n'est pas même une réplique de la perturbation originale. De tels échos inopportuns et déformés peuvent perturber les lèvres les mieux entraînées et, ayant dégradé la stabilité de la vibration initiale, ruineront l'attaque. De telles irrégularités sont bien sûr un désastre complet pour un instrumentiste moins exercé, même s'il peut maintenir un bon son une fois lancé. Assez curieusement, il est possible de construire un instrument qui donne un son tenu fort et clair, et qui refuse de le démarrer. On peut introduire délibérément diverses discontinuités pour compenser, ou neutraliser d'autres défauts de la colonne d'air. Cela peut donner un instrument stable et juste, avec un beau son, bien que cela puisse être extrêmement traître pour l'attaque des notes. Tout musicien a rencontré de tels instruments, ainsi que d'autres qui attaquent proprement mais manquent d'autres qualités nécessaires pour jouer réellement de la musique.

Ma description de l'attaque des sons de trompette a jusqu'ici laissé l'impression que plus la colonne d'air est longue, plus l'attaque doit nécessairement être lente ou risquée. Ceux qui sont familiers avec la longue trompette baroque savent, toutefois, que ces instruments sont au moins égaux sinon supérieurs aux instruments courts de conception moderne pour les caractéristiques d'émission. L'explication peut en être trouvée en comprenant que la "vitesse du son" est une expression qui se réfère en réalité à deux aspects différents de la propagation du son.

La première sorte de vitesse qui s'applique aux perturbations acoustiques est ce que le physicien appelle la "vitesse de phase" pour un son de fréquence précisément définie. La vitesse de phase dépend en général conjointement de la fréquence du son et du taux d'évasement de la colonne d'air dans laquelle l'onde se propage. Nous constatons que c'est cette vitesse de phase des sons dans une colonne d'air qui détermine ses fréquences de résonance. Dans le cas particulier des colonnes d'air à profil rectiligne (cylindrique ou conique), la vitesse de phase est indépendante de la fréquence et est égale à ce que nous pouvons appeler la vitesse du son ordinaire à l'air libre.

On appelle la deuxième sorte de vitesse "vitesse de groupe". Nous pouvons dire que c'est une mesure de la vitesse avec laquelle des perturbations brusques parcourent une colonne d'air. La vitesse de groupe dépend du composant de fréquence qui prédomine dans la perturbation et, là encore, dépend du taux d'évasement du pavillon. Comme ci-dessus, la vitesse de groupe pour des sons dans une colonne d'air à profil rectiligne est indépendante de la fréquence et est égale à la vitesse du son en plein air.

Les valeurs réelles de la vitesse de groupe et de la vitesse de phase correspondante ne sont pas du tout les mêmes dans la plupart des colonnes d'air à profil curviligne telles que les pavillons des cuivres. Le temps d'aller-retour pour l'impulsion initiale d'une note de trompette est calculé avec la vitesse de groupe et non la vitesse de phase. Autrement dit, le fabricant de trompette a le problème technique très intéressant d'avoir un ensemble correct de vitesses de phase s'il veut de beaux sons tenus et il doit en même temps obtenir un ensemble correct de vitesses de groupe s'il veut que ces notes commencent proprement !

Nous comprenons maintenant pourquoi la trompette courte moderne n'a pas nécessairement un avantage sur son ancêtre plus long. Sa faible longueur lui donne un sérieux avantage initial, mais même dans sa forme sans pistons, il est plus difficile trouver une forme de perce qui concilie simultanément les exigences de vitesse de groupe et de phase sur son étendue que dans le cas d'un instrument long jouant les mêmes notes. La raison principale est qu'il est plus facile de concilier nos deux exigences pour les plus hautes des fréquences naturelles appartenant à une trompette donnée. C'est ici que la trompette la plus longue prend l'avantage pour les notes de la clé de sol et au-dessus. En outre la présence de discontinuités dans les valves et de courbures serrées dans le tube principal (même si le diamètre est conservé) produit des échos précoces gênants dans la trompette à pistons moderne au point que des exemplaires particuliers de cette famille peuvent ou non surpasser des exemplaires particuliers du groupe ancien.

L'acoustique de la trompette
Notions préliminaires d'acoustique
La "trompette d'eau", un analogue à ce qui se passe à l'intérieur d'une trompette
La fonction des lèvres du musicien
La fonction du tuyau et du pavillon - A l'intérieur de la colonne d'air
La coopération requise pour un résultat musical
La trompette baroque
Le spectre interne de la trompette moderne
Le spectre interne de la trompette baroque
Relation entre le spectre interne et le timbre perçu
La trompette de Menke
Le problème d'une attaque propre
Mahillon revisité
Conclusion
Notes bibliographiques