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Comment en suis-je arrivé là ?
Introduction par Robert Pichaureau (1978)

Des années de recherche solitaires m’ont conduit à analyser et à comprendre le travail inconscient de notre corps, lorsque nous faisons vibrer un instrument. Par la suite, des années d’enseignement m’ont permis de vérifier et d’appliquer les résultats de mes recherches.

Il a fallu beaucoup de patience pour arriver à situer la cause de nos problèmes : les élèves qui viennent me voir se heurtent à des problèmes apparemment insolubles, sinon ils ne viendraient pas et ils me demandent de les résoudre très vite. En fait, cela n’est pas si aisé. Je dois d’abord lutter contre de mauvaises habitudes, souvent prises dès le plus jeune âge, et qui se sont fixées dans le subconscient. Très souvent, l’élève - avec le concours de son professeur - à mis 5 ans à se "démolir". Une fois en rapport avec moi, il va se rendre compte qu’il joue "à l’envers". Il espère alors en 2 leçons que je vais le remettre d’aplomb. Naturellement c’est impossible en si peu de temps. Il faut d’abord faire disparaître les mauvaises habitudes.

Ce travail est ardu et ce déconditionnement prend plus de temps qu’il ne faut à un débutant "tout neuf" pour acquérir de bonnes habitudes. Pour cela il faut que l’élève sache vraiment ce qu’il doit faire avec son corps et c’est la raison pour laquelle j’ai décidé d’écrire ce résumé.
En lisant ces pages; l’élève se préparera plus facilement. Rien de tout cela ne viendra tout seul, il faut du courage, de la confiance et de la concentration, en plus d’une certaine compréhension.

Si vous voulez vous contenter de lire ces lignes d’une manière superficielle, n’insistez pas, cela ne servira à rien, continuez à jouer comme par le passé en attendant avec impatience l’âge de la retraite où vous pourrez raccrocher l’instrument ou alors décidez de changer radicalement, essayez de comprendre, mettez vous au travail et vous aurez une chance de vous rendre heureux de jouer pour le reste de votre vie.

"L’art de bien jouer de la trompette dépend d’une concentration intelligente de tous les instants." (Charles Colin)

Concentration sur quoi et comment ?
C’est ce que nous allons voir.

Pourquoi me suis-je penché sur ce problème alors que j’aurais pu me contenter d’être un instrumentiste sans chercher plus loin ? Mon plaisir dans l’art de bien jouer de la trompette était assez limité... Il me manquait quelque chose et les conseils qu’on me donnait ne servaient guère. " Travaille, ça viendra ! Tu ne travailles pas assez, ça ne peut pas venir" Voilà ce qu’on ne cessa de me répéter. En fait, je travaillais, mais malheureusement je n’avais que l’envie de travailler et de progresser, donc il me manquait l’équilibre et le mode d’emploi, car l’envie ne suffit pas. Je ne pouvais jamais aller jusqu’au bout d’une étude - question de résistance - j’étais trop vite fatigué.

Ce qui me manquait était d’importance, c’est ce qu’aujourd’hui j’appelle la base : la racine du son ! Il a fallu que j’analyse les problèmes de la production du son pendant 10 ans, avant de parvenir à en découvrir le secret. J’avais été sur une mauvaise voie dès le début de mes études. J’écoutais ce que je jouais. Ce qui comptait pour moi - et pour mes professeurs - c’était ce qui sortait de l’instrument. Mon expérience m’a prouvé par la suite à quel point ceci est une erreur fondamentale. Quand ce qui sort de l’instrument est bon, nous sommes heureux, lorsque ce qui sort est mauvais, nous sommes malheureux, mais c’est quand même sorti.

Dans un cas comme dans l’autre, cette manière d’apprécier le jeu n’est pas valable. Il faut concentrer son esprit sur des choses beaucoup plus concrètes : sur ce que j’appelle maintenant les "mouvements" (qui sont de l’ordre de déroulement du souffle, c’est à dire des processus du corps). C’est le seul procédé qui nous évite de rester tributaire de la chance ou du hasard et de souffrir de fatigue prématurée. En musique, on ne peut se contenter d’approximations, on ne peut gommer, corriger, compléter, ce qui est joué est joué. Afin d’atteindre à une grande sûreté on devra passer à travers un apprentissage très spécial, il est indispensable d’apprendre à bien se connaître. Rassurez-vous, les mouvements volontaires du début deviennent petit à petit instinctifs, à la suite d’un long et méthodique travail, mais pour obtenir un bon résultat, il faut d’abord analyser chaque mouvement et créer l’habitude de l’exécuter correctement.

En France, nous sommes victimes d’un certain goût du beau. Ainsi, dès la première leçon, le professeur et l’élève recherchent le beau son. Sur une trompette on peut parvenir à en produire très rapidement, alors qu’il faut plusieurs années de travail à un apprenti violoniste pour en arriver là. Par des moyens qu’il faut rejeter absolument, on peut en effet obtenir un son. Tout le monde criera au génie..." vous entendez le beau son qu’il a !" Tout le monde est content : le professeur, les parents et le pauvre élève qui est pourtant, dès cet instant, pris dans un engrenage dont le plus souvent il ne sortira que s’il a beaucoup de chance. De nos jours les débuts d’un trompettiste se font sur des bases radicalement fausses.

Poursuivons le parallèle avec l’étude du violon. Le travail d’un professeur de violon consiste avant tout, au début, à contrôler sans cesse la tenue de l’élève. A travers une vigilance et une surveillance de tous les instants, le son, petit à petit, deviendra beau, car il sera basé sur de bons principes, mais ces débuts sont bien désagréables pour l’entourage. On est forcé d’accepter cet état de choses. On notera que dans l’enseignement du violon, le professeur peut voir tous les mouvements de son élève, alors que le professeur de trompette doit les ressentir, les deviner car, pour l’essentiel, ils sont intérieurs et ne se voient que très peu, ce qui nécessite une grande connaissance du corps, acquise en s’observant d’abord soi-même.

Autre particularité de l’enseignement : dès la première année, il y a un petit examen. Pourquoi pas, me dira-t-on ? En fait, cela augmente le danger de "vernissage" : on préférera que l’élève produise du "beau" par n’importe quel moyen ; tendance néfaste à l’élève. Le jury qui juge un élève de première année au violon l’écoute, l’entend bien, bien sûr, mais il l’observe avant tout et le juge d’après la valeur de sa tenue. La plupart des trompettistes jugent d’après le joli "son", ils ne réfléchissent pas à la manière employée par l’élève pour fabriquer ce son. Pour les premières années, ces tendances sont favorisées par certains, si bien qu’après 2 ou 3 ans d’études, vous avez toujours ce fameux beau son, mais un jeu limité dans l’étendue de la tessiture. C’est signe que ce beau n’est pas bon. Il n’a pu croître sur des racines solides. Le jeu de l’élève est malade, il a besoin d’une thérapie de base.

Les maîtres qui sont à Paris et voient arriver des élèves ainsi dépourvus de base n’ont plus qu’à retrousser leurs manches. Il s’agit de "faire les fondations". A mon avis, ça n’est pourtant pas leur rôle. Quelle drôle de situation ! Les grands solistes, les maîtres font des fondations et les professeurs qui ont la charge de construire des bases de départ solides font du vernissage. Quoi d’étonnant si le malheureux jeune trompettiste se trouve, à 20 ans, bourré de problèmes contradictoires qu’il ne peut résoudre par un travail acharné. Il souffrira, il fera tout ce qu’il peut par amour de la trompette, car il faut bien le dire, c’est un instrument très attachant (peut-être parce qu’il nous fait souffrir !), mais quels efforts tout cela va coûter et le voici, au moment où il devrait récolter les fruits de son travail devant des difficultés insolubles et une grande confusion. Ce n’est pas le professeur qui souffrira de cet état de choses, mais bien l’élève. Voilà où nous en sommes trop souvent dans l’enseignement de la trompette en France.
Le remède, le voilà : ne pas commencer à se précipiter sur le beau son à tout prix, il faut d'abord laisser la trompette dans son étui : on peut la contempler, elle est belle, mais attention, ne pas y toucher trop vite — danger! Il faut en tout premier lieu, apprendre à se connaître : à prendre conscience de tout ce qui doit se faire avant d'en venir à émettre un son. Voilà le vrai travail. Pour cela : éviter d'avoir l'instrument dans  les mains.

Le remède ? Une leçon de trompette "vraie"
Note : dans les pages suivantes, le texte de l'article de 1978 est complété par les expressions relevées par Philippe Maillard lors de ses entretiens avec Robert Pichaureau en 1997, et qui figurent en italique.

La respiration
La langue
Les lèvres
La décontraction
L'émission
La racine
Le plaisir
Le son
Finalement

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