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Comment faire parler votre instrument
par Richard Smith
article publié dans le ITG Journal de mai 1999.


Les poumons d'un joueur de cuivres expulsent l'air entre les lèvres vibrantes. Les diverses forces qui s’exercent sur les lèvres pendant le jeu sont bien connues, mais assez complexes. Il suffit de dire que le grain de l'embouchure agit en tant que résistance au flux d'air pour fournir aux lèvres un "ressort pneumatique" afin de soutenir la vibration. Le flux d'air est modulé par les lèvres vibrantes qui lui donnent de ce fait deux composantes distinctes (figure 1) :
• Une composante alternative que nous appellerons C.A. qui excite et maintient la note dans l’instrument
• Une composante continue que nous appellerons C.C. qui, ayant fait vibrer les lèvres et traversé le grain d'embouchure, ne joue plus aucun rôle dans la production du son.
Les termes C.A. et C.C. sont analogues à leurs équivalents dans les circuits électriques (en anglais A.C. et D.C.)
Cette explication technique de l'excitation de l'instrument devrait aider les instrumentistes à comprendre comment ils produisent des notes, mais jusqu'ici, il a été impossible de démontrer ce principe. Les expériences décrites ici prouvent que des notes peuvent encore être produites quand le resserrement du grain est situé latéralement sur l'embouchure et que l'instrument est isolé par une membrane mince. La membrane transmet seulement le flux d'air de la C.A. dans l'instrument, installant une oscillation régulière de la manière normale.

Figure 1. Coupe d'une embouchure de cuivre

Figure 2. Couplage de la C.A. dans un circuit électronique
et analogie avec une embouchure modifiée


Figure 3. Embouchure modifiée avec un diaphragme
obturant la perce et un grain sur le côté de la cuvette


Figure 4.
Embouchure avec avec le grain élargi

Figure 5. L’embouchure modifiée utilisée
avec un trombone. Cette taille d’instrument
a été choisie pour travailler plus facilement
sur les diaphragmes et les grains d'embouchure

On a utilisé une embouchure standard de trombone de perce moyenne pour cette expérience (de préférence à une embouchure de trompette) pour travailler plus facilement avec les diaphragmes et les grains d'embouchure. La cuvette de l'embouchure a été coupée en deux et une membrane mince, formant un diaphragme imperméable à l'air et à l'eau, a été tendue en travers du grain (en anglais : throat) pour isoler efficacement l'instrument. L'autre partie de l'embouchure, constituée principalement du bord et de la plus grande partie de la cuvette, percée d’un trou de la taille du grain d'embouchure sur le côté pour permettre à l'air soufflé de s’échapper, a été adaptée soigneusement sur le diaphragme.

La composante continue C.C.
L'effet du grain d'une embouchure n'était pas évident jusqu'à ce que des essais aient été réalisés avec l'embouchure modifiée. Il était presque impossible d'obtenir la vibration des lèvres avec le petit trou latéral. Mais une solution a été trouvée en comparant ce problème acoustique à l'analogie électrique du découplage C.A./C.C. utilisée dans la plupart des circuits électroniques (figure 2). Celle-ci montre qu'une résistance est nécessaire pour l'écoulement de la C.C. Pour fournir cette résistance acoustique, un tube étroit a été placé dans le trou latéral afin de donner assez de résistance à l'air pour que les lèvres vibrent et permettre de maintenir la vibration (figure 3). En outre, si on ferme ce tube pendant l’émission de la note, elle s’arrête immédiatement parce que l'écoulement de la C.C est interrompu et les lèvres ne peuvent pas vibrer. Une fois rouverte, la note redémarre. C'est exactement la même chose que le coup de langue, sauf que cela se produit après la mise en vibration des lèvres. De même, dans un circuit électrique, peu importe qu’un interrupteur soit placé avant ou après l'ampoule – il permettra toujours d’allumer et d’éteindre ! A bien des égards, l'ouverture et la fermeture du tube avec le doigt (ou mécaniquement) est plus facile que le coup de langue et peut produire une répétition très rapide des notes.
La hauteur ou le timbre des notes produites par cette embouchure n'étaient pas différents de celles jouées normalement. En revanche, il était plus difficile de maintenir les notes parce que le diaphragme absorbait une partie de l'énergie.

La composante alternative C.A.

La “hola”, souvent un signe de l'ennui du public dans les stades, illustre comment la composante alternative du flux d’air se propage dans l'instrument. La “hola” peut se propager comme une vague plus rapidement que n'importe quel coureur autour du stade ; les participants eux-mêmes ne bougent que de quelques dizaines de centimètres de haut en bas. Cette analogie est tout à fait exacte, sauf que dans le cas des particules d'air, elles ne peuvent pas voir la vague venir et doivent attendre que leur voisine les tire et les pousse le long du tube (dans la direction de la vague - il s'agit donc d'une vague "longitudinale") avant de transmettre leur énergie à la particule suivante. De la même manière, le diaphragme dans notre démonstration, et les particules d'air dans la perce d'un instrument se déplacent seulement de 1.0 mm d’un côté à l'autre en jouant fortissimo. A part ce mouvement, elles sont stationnaires et leur vibration est transmise à la particule suivante et ainsi de suite jusqu’au bout de l'instrument. C'est une vague longitudinale d'énergie qui voyage à la vitesse du son (330 m/s ou 1200 Km/h) - bien plus vite que toutes les particules d'air qu’on peut souffler dans l'instrument !
Puisque le grain original est devenu superflu pour fournir une résistance à l'air, il peut être agrandi à la taille de la perce de l'instrument (1/2 pouce) comme représenté sur la figure 4. Quand on la jouait, l'embouchure ainsi modifiée ne montrait aucun changement défavorable. Sauf peut-être que le rendement de l'instrument était amélioré.
Des recherches antérieures montrent en pratique ce concept C.A./C.C., où une trompette à la réponse défectueuse, qui avait des débris (sous forme de paquets d'argent épars venant du processus d'électrodéposition) dans la crosse du pavillon, n’offrait aucune résistance à l'air soufflé dans l'instrument (écoulement continu), mais résistait sensiblement à l'écoulement de la C.A. comme détecté par un instrumentiste. [voir : "Tout dans la perce !" par Richard Smith] A partir de cette découverte, l’équipement d'essai d'impulsion a été développé pour analyser les réflexions provoquées par des défauts semblables.

L'auteur est reconnaissant pour l'aide et les conseils donnés par Dudley Bright, tromboniste principal de l'orchestre Philharmonia de Londres.

Au sujet de l'auteur
: Richard Smith a écrit une thèse de doctorat sur l'acoustique de la trompette avant de rejoindre Boosey et Hawkes, où il a travaillé douze ans en tant que concepteur en chef et directeur technique responsable de la gamme de cuivres mondialement célèbres Besson. Il a conçu plusieurs instruments Besson Sovereign, y compris les trompettes originales employées par Derek Watkins et John Wallace.
Depuis 15 ans, sa propre compagnie a conçu les instruments Smith-Watkins pour des instrumentistes de premier plan. Il continue la recherche sur l’acoustique, les mesures et la conception des cuivres et est beaucoup sollicité pour des conférences techniques et des séminaires.

Traduit en janvier 2004 par Joël Eymard pour le site web "Tout sur la trompette"