John T. Lynch (2770bytes)

Les résonances naturelles d'une trompette



J'ai collé un petit haut-parleur sur la cuvette d'une embouchure de trompette (un écouteur qui se met dans l'oreille), percé un trou de 1,5 mm de diamètre sur le côté de cette embouchure et soudé un tube de même diamètre sur le trou. Un micro Knowles à électret est attaché à l'embouchure par un très court tube de plastique. Le micro est branché sur un des préamplis de ma table de mixage Electro-Voice et sur le canal de gauche de la carte son de mon ordinateur. Ce micro me permet de mesurer la pression acoustique directement dans l'embouchure. Cet ensemble a été installé sur une trompette "Bel Canto" modèle 54 (la trompette de "Doc Severinsen"), avec la coulisse d'accord complètement enfoncée. Un micro Shure BG4 placé à environ 1 cm devant le pavillon de la trompette est branché sur le canal de droite de la carte son. J'ai envoyé un signal sinusoïdal avec un balayage linéaire en 10 s des fréquences de 100 Hz à 2000 Hz. La sortie de la carte son alimentait mon logiciel de transformation de Fourier rapide (FFT de "Sound Technologies") qui produisait les courbes suivantes :

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Figure 1. Spectre de fréquences d'une trompette Bel Canto modèle 54 excitée par un signal sinusoïdal balayant les fréquences de 100 à 2000 Hz en 10s.

La résolution des fréquences est de 0,25 Hz. Les courbes sont obtenues en prenant la moyenne sur 10 balayages. La courbe du haut est obtenue à partir du micro fixé sur la cuvette de l'embouchure. La courbe du bas est obtenue à partir du micro placé devant le pavillon de la trompette. Les flèches sont placées à 125, 250, 375, 500, 750 et 1000 Hz, mais sont identifiées par les noms des notes de musique qui peuvent être associées à ces fréquences (C below the staff = "Do" grave ; High C = "contre-ut")

La notation "Do" est conventionnelle pour une trompette en si bémol. Évidemment, la trompette n'est pas accordée, la coulisse d'accord étant complètement enfoncée. On peut tirer plusieurs conclusions intéressantes de ces courbes qui montrent les résonances naturelles de la trompette.
  1. Les plages de fréquences de chaque résonance interne sont larges et asymétriques, l'asymétrie étant exagérée par le choix d'une échelle logarithmique.
  2. Les résonances ne sont pas très marquées, avec une différence de 12 dB au plus entre pointe et creux. La dynamique totale ne dépasse pas 35 db.
  3. On voit que les fréquences des pics de résonance sont très proches des multiples entiers d'une fondamentale "fantôme" à environ 125 Hz (f0), à l'exception de la première qui est autour de 110 Hz. La première résonance marquée est le "do" grave à environ 250 Hz (2 x f0), la pointe suivante est le "sol" à 3 x f0, le "do" médian est à 500 Hz (4 x f0), etc. Il est tentant d'appeler ces pointes de résonance les harmoniques d'un fondamental f0, mais ce ne sont que les résonances d'un tube en métal, qui pourraient être de fréquences quelconques. Le fait qu'elles soient si proches des multiples d'une fondamentale inexistante montre seulement le savoir-faire du facteur d'instrument (Dick Ackright).
  4. On voit facilement pourquoi le "do" pédale est si difficile à obtenir : il y a en fait un creux de résonance à cette fréquence ; en revanche, il y a une bonne résonance à environ une tierce plus bas.
  5. On voit aussi pourquoi il est si difficile de jouer juste dans le registre suraigu : il n'y a en fait aucune trace de résonance au dessus du "la" suraigu.
  6. Les pics de la courbe produite par le micro devant le pavillon sont de fréquence plus élevée que les résonances naturelles (mesurées à l'embouchure), et plus élevées qu'elles ne devraient.

La principale conclusion est que les résonances d'une trompette ne sont pas les harmoniques d'une quelconque note fondamentale. Pour un physicien, les harmoniques sont les multiples entiers exacts d'une fréquence fondamentale et sont les constituants d'un signal périodique plus complexe. Quand une note est jouée, le son peut être décrit comme le mélange de nombreuses vibrations sinusoïdales de différentes fréquences (les partiels). Si le son est périodique de fréquence f0, les partiels sont les harmoniques de f0. Mais aucune note n'est un son périodique, et ne peut donc être représentée de façon exacte par une transformée de Fourier. En effet, puisque les notes ont une durée finie, aucune n'est périodique au sens strict.

Comparaison avec le spectre de notes jouées
J'ai joué plusieurs notes mf sur la même trompette Bel Canto Modèle 54, avec la coulisse d'accord complètement rentrée, en utilisant mon embouchure Stork 1.5C, et je les ai enregistrées directement sur mon disque dur avec le même micro Shure BG4. J'ai mesuré la fréquence de la résonance la plus basse, que j'appellerai f, et j'ai mis des flèches sur le graphique à f, 2 x f, 3 x f, etc.
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Figure 2. "Do" grave joué mf sur une trompette Bel Canto Modèle 54. f=238.4 Hz

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Figure 3. "Sol" 2ème ligne joué mf sur une trompette Bel Canto Modèle 54. f=355 Hz

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Figure 4. "Do" médium joué mf sur une trompette Bel Canto Modèle 54. f=477.2 Hz

Ces courbes montrent un fondamental périodique de fréquence f avec de nombreuses harmoniques qui sont les multiples entiers de f, pairs et impairs. Par comparaison avec les résonances naturelles de la trompette, il faut noter que :
  1. Les pics associés aux harmoniques sont très pointus, avec des différences de l'ordre de 60 dB avec les creux aux fréquences basses. Dans le cas des résonances de la trompette, les différences sont plutôt de 10 dB. Cela signifie que la différence d'énergie acoustique entre pics et creux est 100000 fois supérieure que dans le cas des résonances naturelles.
  2. Les harmoniques sont bien marquées au-delà de la limite de fréquence de 10 kHz représentée sur la courbe, alors que les résonances naturelles disparaissent complètement au-delà de 2 kHz.

Conclusions

Une trompette présente une série de résonances naturelles relativement larges qui sont assez proches des multiples entiers d'une fréquence "fondamentale". Mais cette "fondamentale" n'est pas une résonance de la trompette. Le fait que les fréquences de ces résonances soient approximativement les partiels d'une corde vibrante témoigne des années d'évolution dans la conception du plus noble des instruments.

Les partiels d'une note jouée sont presque exactement les multiples entiers de la fréquence de base de la note jouée ("do", "sol", etc.). Ces partiels sont les harmoniques d'une fondamentale et montrent seulement que la vibration est périodique mais pas sinusoïdale. Le spectre de fréquence des partiels s'étend bien au-delà des fréquences de résonances de l'instrument lui-même. Les partiels résultent uniquement du fait que les lèvres de l'instrumentiste n'ont pas une vibration purement sinusoïdale ; toutefois, l'amplitude relative des partiels est fonction de l'instrument, comme je le montre dans un autre article.

Je ne sais pas pourquoi les notes obtenues en jouant l'instrument sont plus basses que les pics de résonance naturelle, mais je vais y réfléchir.

(Note du traducteur : en utilisation réelle, la cavité buccale et la gorge de l'instrumentiste prolongent le tuyau sonore et font donc baisser les fréquences de résonance. Le dispositif expérimental présenté ici ne permet pas de conclure sur la justesse de l'instrument)

On trouve les spécifications de la trompette Bel Canto à :
http://www.parduba.com/specs.html#54doc. Toutefois, le pavillon fait en réalité 4 7/8" de diamètre.

John T. Lynch


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